SOLIDARITÉ MAGAZINE
Bulletin semestriel
de la Commission de la Solidarité Internationale
de Voir Ensemble
« La liberté commence où l’ignorance finit »
Victor HUGO
N° 47 1er
semestre 2017
Siège : Voir Ensemble, Solidarité Internationale, 15 rue Mayet, 75006, Paris
CCP : Voir Ensemble, Solidarité Internationale 5755065 L 020
Téléphone (Président de la Commission) : 06 60 63 96 60
Adresse électronique : y.dunand@free.fr
Équipe de Rédaction : Caty Cavaillès, Yves Dunand,
Cécile Guimbert, Marie-Claude Cressant
Ce bulletin est distribué gratuitement mais, en raison des frais élevés qu'il engendre, les dons à la Commission de la Solidarité Internationale sont les bienvenus.
Ces dons peuvent être adressés directement au Siège de l’association, Voir Ensemble, Commission de la Solidarité Internationale, 15 rue Mayet, 75006 Paris. Les chèques doivent être libellés à l'ordre de "Voir Ensemble, Solidarité Internationale".
Nous enverrons en retour un reçu fiscal car tout don effectué à une association reconnue d'utilité publique donne droit à une déduction fiscale de 66% de son montant.
Avec nos plus chaleureux remerciements anticipés !
La liberté
commence où l’ignorance finit, une
lumineuse devise de Victor Hugo pour la CSI !
La Commission
Solidarité Internationale de Voir
Ensemble recrute
« Une
société inclusive, c’est une société sans privilèges » (entretien avec
Charles GARDOU)
Burkina Faso,
changer le regard de la société
L’importance de
l’apprentissage du braille
Le braille, j’y
crois mordicus !...
Du crépuscule à
l’aurore (poème)
« Je ne
suis pas du tout exceptionnel, je suis un non-voyant normal ! »
Des nouvelles
d’« Ici et Là-Bas » : Des
actions solidaires à Douala
En Tanzanie,
l'école modèle qui accueille les enfants
aveugles et albinos
Des nouvelles de la Maison de l’Espérance à Bethléem
Cari de
crevettes (recette réunionnaise)
Voilà bientôt vingt-cinq ans que nous publions régulièrement « Solidarité Magazine », le bulletin de la Commission de la Solidarité Internationale de Voir Ensemble. Nous en serons sous peu au cinquantième numéro. Que de sujets évoqués, que de témoignages publiés, que de comptes rendus de rassemblements solidaires partagés, pour que notre modeste parution continue d’être, au fil des ans, organe d’information et de réflexion, véritable trait d’union entre « Ici » et « Là-bas », lien défiant le temps entre partenaires du Sud et du Nord, escale, chemin fraternel semé de mille et un petits cailloux d’or. Feuilleter les pages de tous ces numéros, c’est voguer, partir en voyage au gré de toutes les actions qu’ensemble nous avons menées, portés par des rêves fous de fraternité.
S’il y a une constante, un fil rouge dans notre engagement, c’est bien celui de l’alphabétisation, de l’éducation, de la scolarisation des personnes aveugles et malvoyantes d’Afrique Francophone pour l’essentiel. Nous avons eu conscience très tôt, vers les années quatre-vingts, que faire reculer l’ignorance était la petite clé qui donnait accès à la liberté, faisant résolument nôtre dans les faits, à notre mesure bien sûr, cette devise prophétique de Victor Hugo. Si au début, nous soutenions financièrement quelques écoles par de modestes subventions (Centre Accueil Notre-Dame de la Paix de Dschang au Cameroun, Centre Kékéli-Néva à Togoville, puis Institut des Aveugles de Kikwit en RDC), si nous recopiions des ouvrages scolaires, si nous envoyions des lunettes, des médicaments, peu à peu, nos actions dans ce domaine ont évolué, se sont adaptées aux besoins exprimés par les institutions spécialisées (formation du personnel : enseignants, transcripteurs, accompagnateurs scolaires, instructeurs en locomotion…), diversification en matière de dons de matériels didactiques (tablettes, cubarithmes, bouliers, planches Dycem, instruments de géométrie, mais aussi, à l’occasion, divers équipements informatiques…), soutien à des bibliothèques (envoi de livres, de manuels scolaires, d’ouvrages de référence comme les codes de transcription ou de mathématique…). Notre zone géographique d’intervention s’est élargie (Guinée, Burkina Faso, Bénin, Congo Brazza, Maroc, Algérie, jusqu’au Liban, Vietnam, Cuba, Haïti…).
Cette brève évocation n’est nullement exhaustive. Il s’agit simplement de montrer combien la Commission de la Solidarité Internationale de Voir Ensemble s’est efforcée dans le temps de répondre au mieux aux besoins de nos partenaires dans le domaine de l’éducation. Notre prochain rassemblement, les 16 et 17 septembre à Lyon, atteste de cette même préoccupation puisque le thème de notre manifestation porte sur « L’inclusion ». Un sujet qui touche de plein fouet la scolarisation des jeunes déficients visuels ici et là-bas. Pourquoi ne parle-t-on plus d’intégration ? Quels sont les facteurs pour que l’inclusion en milieu ordinaire soit réussie ? Des spécialistes, comme le psychologue Serge Portalier et la pédagogue Marie-Luce Garapon, la mise en commun d’expériences vécues au Sud comme au Nord, nous donneront l’opportunité d’approfondir notre réflexion sur un sujet brûlant d’actualité. De nombreux articles, dans ce numéro, contribueront, nous l’espérons, à nous préparer à ce moment fort, nous permettant de nous approprier un thème qui mérite toute notre attention parce qu’il engage le devenir de jeunes enfants et adolescents gravement déficients visuels pour les années à venir. Un point que nous tenons à souligner : il est impossible selon nous de réussir une inclusion si l’on ne maîtrise pas les outils fondamentaux, comme le braille, la locomotion.
De plus, outre les rubriques habituelles (poèmes, courrier du sud, humour, recette…), vous verrez de quelle manière nous essayons de susciter l’intérêt autour de nous pour que de nouveaux militants s’engagent pour prendre la relève au sein de notre équipe, (cf. édito de Solidarité Magazine numéro 46). Nous vous remercions par avance pour le bon accueil que vous voudrez bien réserver à notre vibrant appel. Il nous importe, vous le savez, que d’autres frères et sœurs se lèvent, s’emparent de notre rêve. Ensemble, conjuguons nos efforts : continuons à faire reculer l’ignorance. C’est à ce prix, nous le savons, que la liberté commence… se propage, s’épand au souffle de l’espérance.
Saverdun, le 5 mars 2017.
Prends ton sourire, et donne-le à celui qui n'en a jamais eu.
Prends un rayon de soleil, et fais-lui percer les ténèbres.
Découvre une source, et purifie celui qui est dans la boue.
Prends une larme, et dépose-la sur le visage de celui qui ne sait pas pleurer.
Prends le courage, et mets-le au cœur de celui qui ne peut plus lutter.
Découvre un sens à la vie, et partage-le avec celui qui ne sait plus où il va.
Prends dans tes mains l'espérance, et vis dans la lumière de ses rayons.
Prends la bonté, et donne-la à celui qui ne sait pas donner.
Découvre l'amour, et fais-le connaître à tous.
« Amour et vérité se rencontrent.
Justice et paix s'embrassent.
La vérité germera de la terre.
Et du ciel se penchera la justice. »
Je trouve très beaux ces versets du psaume 84, écrits à Jérusalem, vers les années 500 avant Jésus-Christ, après le retour de l'exil. Les Hébreux sont pleins d'enthousiasme. Il s'agit de reconstruire le temple, la ville et le pays. Les verbes utilisés indiquent l'Action : se rencontrer, s'embrasser, germer, se pencher vers... Et quelles sont les réalités ainsi mises en mouvement ? L'Amour, la Vérité, la Justice et la Paix.... Elles sont un dynamisme pour temps de crise...
N'est-ce pas ce que nous cherchons, ce que nous vivons ? Nous cherchons l'Amour, oui, mais dans la vérité. Nous voulons la paix, oui, mais dans la justice. Nous sommes engagés à vivre le partage solidaire, oui, mais avec des partenaires qui dialoguent en vérité. À la base, par des enquêtes, des voyages, des études, nous faisons germer la vérité : quels sont les vrais besoins, les attentes, les possibilités, les collaborations ? Les projets ne peuvent pas réussir sans rapports de vérité. En même temps, nous voulons des réponses justes. Cette justice qui du ciel se penche vers nous... nous attendons qu'elle finisse par tomber parmi nous ! La recherche de la justice qui a mis et qui met en mouvement tant d'hommes et de femmes est aussi une passion de Dieu. En communion, germinations humaines et révélations divines font progresser l'Histoire.
Que dans nos rapports citoyens, que dans nos relations internationales, Amour et Vérité se rencontrent, que la Justice et la Paix s'embrassent. Certains ne parlent que d'Amour, d'autres ne parlent que de Justice, presque tous veulent la paix. N'oublions pas la Vérité. Elle est un aspect de la justice, une condition de la paix, une manifestation de l'amour vrai. Il y a une trentaine d'années, j'écrivais ces quelques vers.
« On parle beaucoup d'Amour,
de dialogue et d'amitié...
Mais peut-on chanter l'Amour,
sans chercher la Vérité ? »
Agissant depuis plus de 40 ans en soutien à des écoles et à des associations de personnes aveugles et malvoyantes de pays défavorisés, principalement en Afrique francophone, la Commission Solidarité Internationale de Voir Ensemble est en quête d’une relève en vue des prochaines élections de son Comité qui se tiendront en septembre 2017.
Qualités souhaitées : ouverture aux autres, empathie, goût pour le travail bénévole en équipe, disponibilité, rigueur.
Compétences spécifiques appréciées mais non indispensables : expérience dans l’action humanitaire ou en lien avec le handicap visuel.
En quoi consiste l’engagement à la CSI ?
participation à l’activité du Comité, nourrie par des échanges de courriers électroniques et organisée autour de 4 réunions par an d’une journée au siège parisien de l’association Voir Ensemble ;
occupation d’un poste au sein du Bureau (président/animateur, vice-président, secrétaire, trésorier), avec, pour chacun, des tâches clairement définies pour un bon fonctionnement de l’équipe ;
apport des aptitudes spécifiques de chacun pour l’accomplissement des tâches qui sont à la base de l’action de la CSI (examen et suivi des projets, tri et envoi de matériel et de livres aux partenaires, missions de formation, de prospection ou d’évaluation sur le terrain, actions de communication et de sensibilisation...).
Pour mieux connaître la CSI, ses objectifs, ses actions, ses moyens..., rendez-vous ici
Vous pourrez également faire plus ample connaissance avec notre Commission en consultant en ligne les derniers numéros de notre bulletin semestriel Solidarité Magazine
Que toutes les personnes intéressées n'hésitent pas à contacter les responsables de la CSI aux coordonnées suivantes :
Yves Dunand :
Tél. : 06 60 63 96 60.
Caty Cavaillès-Alliouz
Tél. : 05 61 60 44 99.
Mohamed Azzouz :
Tél. : 06 19 89 57 43.
Selon des statistiques publiées par l’OMS en 2014, il y aurait dans le monde près de 285 millions de personnes présentant une déficience visuelle : 39 millions d’entre elles sont aveugles et 246 millions présentent une baisse de l’acuité visuelle.
Près de 90% des personnes atteintes d’une déficience visuelle vivent dans des pays à faible revenu.
Il est clair que dans les zones du globe où sévit une pauvreté endémique, les personnes souffrant d’un handicap quel qu’il soit sont encore plus vulnérables et marginalisées, et plus encore lorsque celui-ci fait l’objet de superstitions ancestrales conduisant à une stigmatisation, voire à la persécution ou à l’élimination de ceux qui en sont porteurs. Nous pensons ici plus particulièrement à la situation dramatique des albinos, qui, dans certains pays d’Afrique tels que le Mali, le Cameroun, la République Démocratique du Congo, le Burundi ou la Tanzanie, sont enlevés et assassinés en raison des caractéristiques mystiques qui leur sont conférées dans certaines pratiques de sorcellerie. Il incombe aux gouvernements des pays concernés, sous la pression et avec l’appui d’organisations internationales, de tout mettre en œuvre pour éradiquer ces pratiques criminelles dues à l’ignorance et à la cupidité.
Mais qu’en est-il des dizaines de millions de personnes aveugles et malvoyantes vivant dans des pays démunis qui, sans être confrontées à une menace aussi extrême, n’en subissent pas moins, dès l’enfance, le poids des préjugés et de l’ignorance ? Pour elles, l’insertion sociale passe généralement par l’alphabétisation, l’éducation et l’initiation à des activités génératrices de revenus adaptées à leurs possibilités et au contexte socio-économique local. Ce sont précisément ces domaines que la Commission de la Solidarité Internationale de Voir Ensemble a identifiés comme prioritaires dans les actions qu’elle mène en soutien à des associations typhlophiles et à des écoles spécialisées, essentiellement en Afrique francophone. Ainsi, en démontrant leurs capacités à être productifs dans des domaines aussi divers que l’agriculture, les activités artisanales, le commerce…, les aveugles de ces pays dits « en développement » ont réussi à changer progressivement le regard porté sur le handicap visuel. Une évolution qui s’accentue encore aujourd’hui avec l’accession d’un nombre croissant d’entre eux à des études supérieures, voire à des responsabilités politiques en tant que ministres ou députés.
Nous sommes bien conscients, toutefois, de ce que ces réussites, collectives ou individuelles, ne doivent pas être l’arbre qui cache la forêt. Certaines statistiques sont en effet là pour nous rappeler que ces progrès ne concernent encore qu’une bien faible proportion des personnes déficientes visuelles des pays émergents, pays où le taux global de scolarisation des enfants handicapés oscille en effet entre 1% et 5%.
Pour tenter d’y remédier, de plus en plus de pays tentent de mettre en place des programmes à grande échelle d’éducation inclusive, manifestant une volonté de traduire en réalité le droit à l’éducation pour tous. Il est à noter toutefois que, selon un rapport d’état des lieux sur l’éducation inclusive au Burkina Faso publié en 2013, en ce qui concerne les déficients visuels, tous les interlocuteurs rencontrés sur le terrain se prononcent en faveur d’une éducation spécialisée pour les premières années d’apprentissage, confirmant ainsi la pertinence des Classes transitoires d’inclusion scolaires (CTIS) au sein desquelles les élèves bénéficient d’un enseignement spécifique qui les prépare pendant 3 à 4 ans à intégrer une école classique.
Voilà qui nous ramène à un débat qui nous est aussi familier, en France, puisqu’il resurgit inévitablement dès qu’il s’agit de tenter de déterminer la modalité de scolarisation la plus apte à permettre une insertion socioprofessionnelle effective des personnes en situation de handicap. Si l’idée d’une éducation inclusive comme prémisse à une société inclusive peut sembler séduisante, il faut certainement se garder de considérer cette option comme pouvant dès à présent convenir à l’extrême diversité des situations des élèves aveugles ou malvoyants et de leurs familles, surtout si les lois visant à imposer une telle politique ne s’accompagnent pas de la mise à disposition des moyens financiers et humains nécessaires à l’atteinte des objectifs visés.
Et surtout, n’hésitons pas à invoquer cet adage africain qui dit que l’on ne coiffe pas quelqu’un en son absence, et veillons à ce que cette question, comme toutes celles qui nous concernent au premier chef, ne soit pas tranchée, d’en haut, par des décideurs gestionnaires et des soi-disant spécialistes pour qui le handicap n’est qu’une abstraction ou un simple objet d’étude. Dans des domaines tels que l’éducation, la formation, l’emploi, l’accessibilité sous toutes ses formes, ce sont nos expériences vécues au quotidien qui permettent de mesurer les avancées concrètes, mais aussi les facteurs qui font encore obstacle à la pleine insertion des personnes handicapées visuelles dans la société. C’est pourquoi nous avons toujours à cœur de publier, dans ce bulletin semestriel, les témoignages de personnes vivant dans des pays aux situations très disparates, mais d’où ressortent aussi certaines similitudes qui ne vous échapperont pas, et qui justifient assurément que nous unissions nos efforts pour une meilleure prise en compte de nos besoins spécifiques et de notre aspiration légitime au plein épanouissement des possibilités que recèle chacun d’entre nous.
In Faire Face n° 716 – février 2013
L’anthropologue Charles Gardou vient de publier un livre sur les fondements de la société inclusive. Il nous explique la différence entre intégration et inclusion, justifie que le patrimoine commun de l’humanité doit être accessible à tous et rappelle que les êtres humains ont en commun la vulnérabilité.
Faire Face : Qu’est-ce qui différencie l’inclusion de l’intégration ?
Charles Gardou : Intégrer consiste à faire entrer un élément extérieur dans un ensemble, à l’incorporer. Cet élément extérieur est appelé à s’ajuster au système préexistant. Ainsi, dans l’intégration, ce qui prime est l’adaptation de la personne : si elle espère s’intégrer, elle doit, d’une manière souvent proche de l’assimilation, se transformer, se normaliser, s’adapter ou se réadapter. Par contraste, une organisation sociale est inclusive lorsqu’elle module son fonctionnement, se flexibilise, pour offrir, au sein de l’ensemble commun, un “chez-soi pour tous”, sans toutefois neutraliser les besoins, désirs ou destins singuliers.
FF : D’où vient ce concept d’inclusion ?
C.G. : C’est un mot d’usage courant en langue anglaise que nous avons adopté et introduit dans le vocabulaire des politiques du handicap, sans toujours bien en mesurer le sens et la portée. En France, les classes d’intégration scolaire (Clis) ont été renommées classes pour l’inclusion scolaire par le ministère de l’Éducation nationale, en 2009 ; les unités pédagogiques d’intégration (Upi) sont devenues, en 2010, des unités localisées pour l’inclusion scolaire (Ulis) ; etc. Ce terme français d’inclusion semble pourtant peu approprié car, étymologiquement, il implique l’idée de clôture, d’occlusion, de réclusion… En odontologie, par exemple, une inclusion désigne l’état d’une dent emprisonnée dans l’arcade osseuse d’une mâchoire ; en minéralogie, un corps étranger contenu dans la plupart des cristaux et des minéraux. Tous ces usages marquent un enfermement. Le qualificatif “inclusif”, lui, apparaît plus intéressant, notamment dans son opposition à “exclusif”.
FF : Qu’est-ce qu’une société inclusive ?
C.G. : L’idée de société inclusive tourne le dos à toute forme de captation qui accroît le nombre de personnes empêchées de bénéficier des moyens d’apprendre, de communiquer, de se cultiver, de travailler, de créer… Une société inclusive n’est pas un club dont certains membres, privilégiés, pourraient capter l’héritage social à leur profit pour en jouir de façon exclusive. Une société inclusive, c’est une société sans privilèges, exclusivités et exclusions. Chacun d’entre nous est héritier de ce que la société a de meilleur et de plus noble. Chacun a un droit égal à bénéficier de l’ensemble des biens sociaux, qu’il s’agisse de l’école et autres lieux de savoir, des transports, des espaces culturels, etc. Nul ne peut avoir l’exclusivité du patrimoine humain et social, légué par tous nos devanciers et consolidé par nos contemporains : il doit être accessible à tous.
FF : Cet idéal d’inclusion concerne-t-il uniquement les personnes en situation de handicap ?
C.G. : Non, il va bien au-delà. Une société inclusive se conçoit à l’encontre de la dérive, trop fréquente, consistant à donner davantage aux déjà-possédants et des parts réduites à ceux qui, ayant le moins, nécessiteraient le soutien le plus affirmé. Elle remet en question les mécanismes par lesquels les premiers augmentent leur avantage sur les seconds, en réalisant des plus-values et en capitalisant les conforts. La gageure d’une société inclusive est de réunifier les univers sociaux hiérarchisés pour forger un “nous”, un répertoire commun, une communauté où la solidarité avec les plus fragiles est dictée par une proximité de destin.
FF : Qu’entendez-vous par là ?
C.G. : Aucun être identique n’a existé, n’existe et n’existera : chaque être est singulier. Cependant, nous avons tous en commun une même vulnérabilité. Toute vie est irrémédiablement chétive, imparfaite et condamnée à une issue identique. La vulnérabilité peut, à chaque instant, exploser en nous. Les personnes en situation de handicap ne relèvent donc pas d’un type humain à part. Comme tous les êtres humains disséminés sur la planète, elles sont des variations sur le thème du fragile et du singulier. L’idée de société inclusive implique une intelligence collective de la vulnérabilité, conçue comme un défi humain et social à relever solidairement. Il n’y a ni vie minuscule, ni vie majuscule.
FF : Si tous les hommes sont égaux, pourquoi faudrait-il prendre des mesures spécifiques pour certains d’entre eux ?
C.G. : Les hommes sont égaux en droits, mais ils ne sont pas des copies conformes d’un modèle unique. Une société inclusive est une société consciente que l’égalité formelle – en droits – n’assure pas l’égalité réelle – dans les faits. Et que si des situations identiques appellent des réponses identiques, les citoyens les moins armés et les plus précarisés nécessitent des réponses spécifiques.
FF : Mais une société, comme la nôtre, marquée par le creusement des inégalités, peut-elle devenir une société inclusive ?
C.G. : Nous vivons effectivement aujourd’hui dans une société de l’avoir, de la performance, du profit. Mais la société inclusive constitue un horizon vers lequel nous avons à cheminer. L’enjeu est de taille. La transformation des esprits et des pratiques prendra du temps mais la nécessité est là : amender la terre pour en permettre l’accomplissement. Les personnes en situation de handicap ont des raisons d’espérer : il n’est pas anodin que la loi française de février 2005 comporte dans son titre la mention pour « l’égalité des droits et des chances ». Elle a, de fait, instauré un certain nombre de droits, comme celui qu’a aujourd’hui tout enfant d’être inscrit à l’école de son quartier ou bien le droit à la compensation de son handicap. Si son application est loin d’être parfaite, les choses vont dans le bon sens.
FF : Quelles mesures peuvent être prises pour favoriser l’émergence d’une société inclusive ?
C.G. : Je vois quatre leviers principaux pour susciter la transformation culturelle nécessaire. La précocité d’abord : avant l’école, le rôle de nos crèches ou haltes-garderies serait d’accueillir indifféremment les enfants en situation de handicap et les autres. Nous avons aussi à dispenser des savoirs sur le handicap : nous péchons souvent par ignorance, sans avoir conscience de nos archaïsmes de pensée et des pratiques discriminatoires qui ont encore cours. Il est également essentiel d’agir sur l’ensemble des cultures professionnelles, par une formation initiale à la hauteur de l’enjeu. Enfin, les médias, dont on connaît l’impact sur nos représentations collectives, peuvent jouer un rôle déterminant s’ils se saisissent, de manière inventive et volontariste, de cette question.
Quand l’association Voir Ensemble m’a contactée pour écrire un article sur la situation des personnes déficientes visuelles au Maroc, j’ai aussitôt accepté, non que je me sente particulièrement qualifiée pour analyser une situation aussi complexe, ni que je dispose de données précises et chiffrées, mais parce qu’il s’agit d’un sujet qui me tient à cœur et qui me touche personnellement. Cet écrit ne se veut donc pas un article scientifique, encore moins un sondage sur la déficience visuelle dans mon pays, mais bel et bien le témoignage et les observations d’une personne elle-même déficiente visuelle qui a fait une partie de sa scolarité en milieu adapté et qui côtoie régulièrement bon nombre de personnes déficientes visuelles de tout âge et situation sociale.
Faisons toutefois honneur à la tradition et commençons par une statistique, et pas des plus réjouissantes : cinq pour cent. Il s’agit, selon le dernier sondage mené par le ministère des Affaires sociales, du pourcentage d’enfants déficients visuels scolarisés au Maroc. Une question se pose nécessairement à ce stade : pourquoi ?
Plusieurs causes sont à avancer : d’abord, certains enfants vivent dans des régions très éloignées des écoles pour déficients visuels, et, dans la quasi-impossibilité de les intégrer dans des écoles ordinaires, leurs parents, soit par crainte, soit par manque de moyens ou encore par ignorance, refusent de les mettre dans un internat à des centaines de kilomètres de leur domicile. Toutefois, des parents mieux avisés ou moins démunis ont choisi de scolariser, malgré tout, leurs enfants, mais le tribut à payer est lourd : ils ne les voient que cinq ou six fois par an, ce qui crée des situations traumatisantes pour de jeunes enfants de sept ou huit ans, allant jusqu’à leur faire abandonner l’école. En effet, il n’est pas exceptionnel de constater, après des vacances scolaires, qu’un enfant, surtout en première année du primaire, ne retourne pas à l’école alors qu’il n’était pas en échec scolaire.
J’ai appris l’année dernière par une dame, mère d’une petite fille non-voyante, qu’il existait dans son quartier (un quartier à la périphérie de la ville), au moins trois autres filles non scolarisées, et ce, pour cause d’indigence des familles et d’absence de transport scolaire dépendant des écoles pour déficients visuels. Si ces écoles proposent un internat gratuit, dans la limite de leurs capacités d’accueil, elles ne proposent néanmoins pas de service de transport pour les enfants externes (demi-pensionnaires) ce qui engendre des situations très compliquées pour les parents, dont l’un des deux doit faire deux aller-retour par jour pour conduire son enfant à l’école puis à la maison. Situation qui se complique encore plus en cas de fratrie et si l’on considère l’emplacement de certaines écoles, sur des artères principales, ou dans des quartiers grouillant de véhicules en tout genre et qui peut être fatale puisque, pas plus tard que cette année, dans les environs de l’école de Casablanca, une mère a perdu deux des trois enfants qu’elle guidait sous les roues d’un camion, dont le chauffeur a perdu le contrôle.
Après nous être fait une petite idée de l’accès à l’enseignement, entrons maintenant dans ces écoles spécialisées et voyons ce qui s’y passe. Ces écoles, qui dépendent de l’Organisation alaouite pour la protection des aveugles marocains (OAPPAM), mais aussi du ministère de l’Éducation nationale pour le corps enseignant, ainsi que des donateurs locaux, proposent un enseignement et un système d’internat ou de demi-pension gratuit. Les enfants déficients visuels y suivent le même cursus que leurs pairs, sauf pour certaines matières comme la physique et la géométrie qui en sont absentes. Il en résulte qu’une seule filière leur est proposée au lycée : les lettres modernes. Ces élèves ne peuvent suivre une carrière scientifique ce qui limite considérablement leurs chances d’accéder au marché de l’emploi, d’autant plus que pour leur majorité, ils ont un niveau plutôt faible en langues étrangères, alors qu’elles sont fortement sollicitées actuellement.
Le problème de la maîtrise des langues est dû notamment à la rareté des livres en braille ou à leur inaccessibilité dans les écoles, et aux difficultés qu’éprouvent les élèves à être intégrés dans des centres de langues. Nous déplorons également l’intérêt décroissant pour l’apprentissage du braille à cause de la méconnaissance d’un bon nombre de professeurs de cette écriture, de l’insuffisance des manuels scolaires qui sont imprimés au sein de l’association et non par le ministère, et du coût élevé des plages braille qui réduit les initiatives récentes d’apprentissage de l’informatique à l’usage de la synthèse vocale.
Ajoutons-y que l’apprentissage du braille se fait selon des méthodes que nous jugeons révolues, avec recours à la tablette uniquement, ce qui crée des difficultés chez des enfants qui ont du mal à concevoir l’écriture en miroir alors que nous estimons que le recours à la machine Perkins donnerait de meilleurs résultats, chez des enfants souffrant de retards psychomoteurs par exemple. J’ai connu des enfants en troisième année du primaire qui confondaient toujours des lettres comme le « e » et le « i » ou qui n’arrivaient toujours pas à appuyer sur les points 2 et 5. D’autres élèves, pourtant assez intelligents, ont dû redoubler leurs premières années de scolarité à cause de ce genre de difficultés. L’absence d’ergothérapeutes, de surveillants d’internat qualifiés, et de formation spécialisée pour les enseignants qui interviennent dans ces écoles sont également à déplorer.
L’accès à l’emploi pose pas mal de problèmes ; malgré cela, nous notons quelques améliorations ces dernières années, par exemple, la possibilité pour les personnes non-voyantes de se présenter aux concours de la fonction publique et des centres de formation des professeurs alors que leur recrutement se faisait auparavant principalement suite à des manifestations et des sit-in. Toutefois, le recrutement dans le secteur privé est quasi inexistant vu qu’il y a peu de profils qui remplissent les exigences de ce secteur (maîtrise des langues étrangères et de l’outil informatique), l’absence de fonds pour financer l’adaptation des postes ainsi que la souplesse des mesures encourageant ce secteur à employer les personnes porteuses d’un handicap.
Nous n’avons malheureusement pas de statistiques précises concernant l’emploi des personnes déficientes visuelles, soulignons seulement que les personnes ne travaillant pas ne touchent pas d’allocations de compensation du handicap, exception faite de celles qui bénéficient d’une licence de taxi, mais cela n’est pas systématique et elles représentent une minorité.
D’autre part, l’accessibilité du bâti et de la voirie gagnerait à être améliorée. En effet, le déplacement d’une personne déficiente visuelle seule dans la rue relève véritablement du parcours du combattant et, à de rares exceptions près, seules les personnes de sexe masculin s’y aventurent. Non seulement les feux sonores sont-ils inexistants et les trottoirs mal construits, mais ces derniers sont encombrés par les tables des cafés, les marchandises et des obstacles de toute sorte, si bien qu’il est parfois difficile d’y circuler, même avec un guide. Il y a de cela quelques années, l’expérience d’introduire un chien guide dans la ville de Rabat a échoué et son propriétaire a dû s’en séparer.
Malgré toutes ces difficultés, nous comptons dans notre pays bon nombre de personnes déficientes visuelles qui ont pu s’affirmer dans leur domaine professionnel dont des professeurs d’universités, des avocats, des compositeurs, des kinésithérapeutes, des poètes, etc.
Il convient enfin de saluer quelques initiatives prises par certaines associations, comme l’alphabétisation des personnes adultes, dont certaines ont pu obtenir leur baccalauréat et suivre un parcours universitaire, l’organisation d’un festival international annuel des artistes déficients visuels, la mise en place de formations en informatique, l’impression de 1 600 livres en braille pour les enfants, etc. Un intérêt tout particulier a été accordé à l’aménagement d’espaces accessibles dans les bibliothèques récentes, toutefois l’investissement matériel devrait s’accompagner d’une formation plus efficiente pour les personnes responsables de ces espaces.
Afin que les personnes déficientes visuelles puissent aller de l’avant, il me semble essentiel de donner la priorité à l’enseignement. Des campagnes d’information devraient être menées dans les régions les plus reculées afin de repérer le plus grand nombre possible d’enfants déficients visuels en âge d’aller à l’école.
La possibilité de mettre les enfants en enseignement intégré devrait être envisagée surtout quand les écoles spécialisées sont loin. Les filières d’études devraient être diversifiées, filières scientifiques y compris, et un renforcement en langues étrangères est également nécessaire. Les établissements d’enseignement préscolaire devraient être dans l’obligation d’accepter les enfants déficients visuels afin de les sociabiliser, leur apprendre le jeu et développer leur sens du toucher (je peux citer l’exemple de nombreux parents dont les enfants n’ont été admis dans aucune crèche ou école maternelle, même s’ils étaient prêts à payer un supplément pour une accompagnatrice par exemple).
La mise en place d’un transport pour les élèves déficients visuels et la présence d’éducateurs spécialisés s’avèrent indispensables.
De son côté, le ministère de l’Éducation nationale devrait s’impliquer plus, à commencer par la facilitation de l’impression des manuels scolaires en braille en fournissant les fichiers sources, ou carrément prendre en charge cette impression.
Les personnes déficientes visuelles devraient avoir la possibilité d’exercer des emplois plus variés, ce qui ne se fera pas sans une diversification des diplômes. L’exercice au sein du secteur privé devrait également être encouragé. Des efforts devraient être fournis pour améliorer l’accessibilité de nos rues et de nos transports en commun, pour faciliter aux personnes déficientes visuelles l’exercice de leurs activités journalières ; une carte d’invalidité impliquant la priorité dans divers domaines doit absolument nous être délivrée dans les plus brefs délais, or elle n’existe toujours pas ; mais surtout, le plus urgent est de réfléchir à des formations instructives et lucratives pour les nombreux adultes n’ayant pas fait d’études, à des compensations du handicap et à des bourses spécialement allouées aux étudiants porteurs d’un handicap.
Une étude sur les représentations du handicap et le processus de marginalisation des personnes handicapées au Burkina Faso, menée par une anthropologue en 2005, fait apparaître que ces personnes ne sont pas traditionnellement frappées d’exclusion, mais qu’elles n’ont pas une place dans la société du fait qu’elles ne sont pas productives.
Les organisations de personnes handicapées, comme l’UN-ABPAM, se sont longtemps battues seules pour changer ces croyances. C’est seulement en 2006, lors du dernier recensement général de la population et de l’habitat du Burkina Faso, que les personnes handicapées ont été prises en compte pour la première fois. On en a dénombré 168 094, soit 1,2% de la population totale.
Les personnes handicapées visuelles étaient au nombre de 29 416, ce qui représente 17,5% des personnes handicapées et 0,20% de la population ! Ces chiffres sont nettement en dessous de la réalité compte tenu des perceptions négatives de la communauté sur le handicap.
En 1986, le gouvernement révolutionnaire du président Thomas Sankara avait pris des mesures fortes en faveur des personnes handicapées et les avait mises en application. C’est à ce moment que l’Association Burkinabé pour la Promotion des Aveugles et Malvoyants (ABPAM) a ouvert l’École des jeunes aveugles, en 1987. Après la période révolutionnaire, les services publics privatisés, ces mesures sont tombées en désuétude.
Ce n’est qu’après la ratification de la Convention relative aux Droits des personnes handicapées, que le Burkina Faso a pris de nouvelles mesures en leur faveur, en 2010. En l’absence d’allocation budgétaire et avec des personnes chargées de l’application de ces mesures non informées et encore moins formées, ces décrets ne sont toujours pas mis en application.
Néanmoins, des espoirs sont permis avec la création d’un Secrétariat d’État dédié aux personnes handicapées dans le dernier Gouvernement de janvier 2016. Mais que c’est « dur dur » d’être une personne handicapée au Faso !
En 2014, un recensement des enfants handicapés du ministère de la Femme, de la Solidarité nationale et de la Famille a identifié 8 850 enfants aveugles et malvoyants sur le territoire entre 0 et 18 ans. Seulement 431 d’entre eux vont à l’école, soit 5%, alors que le taux de scolarisation des enfants voyants était de 60% en 2008.
Suite à l’adoption de mesures sociales en faveur des personnes handicapées, les curricula de l’Éducation nationale ont été relus et adaptés pour les prendre en compte. Une stratégie nationale d’éducation inclusive est en attente d’adoption par le Gouvernement.
Pour l’instant, l’État burkinabé ne s’est pas encore engagé dans la prise en charge scolaire des enfants handicapés visuels. Toutefois, il affecte du personnel enseignant au sein des structures associatives pour prendre en charge cette éducation.
Pendant longtemps, les centres de prise en charge étaient seulement situés dans les grandes villes comme Ouagadougou et Bobo-Dioulasso (capitale et capitale économique du Burkina), alors que la plupart des enfants aveugles et malvoyants vivent dans les zones rurales avec des parents démunis. Pour aller à l’école, il faut leur trouver des familles d’accueil qui, elles aussi démunies, attendent un soutien pour s’occuper d’eux. Le matériel didactique spécifique est très coûteux et n’est pas disponible sur le marché local. Quand on ajoute à cela le fait que la majorité de leurs parents ne sont pas convaincus de leur capacité d’apprentissage, on comprend pourquoi si peu d’entre eux vont à l’école. Les quelques privilégiés identifiés par des organisations caritatives et les responsables de nos associations locales ont dû attendre un parrainage avant d’être inscrits. Cette éducation tient grâce au soutien de donateurs étrangers (parrainage) et d’ONG internationales. Avec la mise en œuvre de la décentralisation de l’enseignement des enfants handicapés visuels par l’UN-ABPAM, l’Enseignement catholique et des partenaires financiers, de plus en plus d’écoles et lycées de province (publics comme privés) ouvrent leurs portes à l’éducation inclusive.
Au cycle primaire, les enfants bénéficient d’un encadrement acceptable, car tenus par des enseignants formés et qualifiés. Par contre, au secondaire comme dans le supérieur, les professeurs ne sont pas formés et ne tiennent pas compte de leur présence. Les manuels scolaires ne sont pas aux formats accessibles pour des personnes empêchées de lire les documents imprimés. Seuls les livres de lecture du cycle primaire ont été transcrits en braille et imprimés en gros caractères. Les apprenants aveugles se contentent des notes prises pendant les cours et de l’appui de quelques camarades sensibles à leur condition.
Malgré cette adversité, on a dénombré en 2015 seize étudiants handicapés visuels dans les universités de Ouagadougou pendant que 302 élèves handicapés visuels étaient en cycle primaire et 113 en cycle secondaire.
Sans diplôme, sans aucune qualification, les jeunes déscolarisés restent souvent en ville. L’UN-ABPAM a pu former certains d’entre eux comme formateurs des centres d’alphabétisation braille de ses associations membres. Pour les autres, tout comme pour ceux qui n’ont pas été à l’école, il reste « l’auto-emploi ». Malheureusement, nous n’avons pas encore de solutions qui fonctionnent et qui soient adaptées à leur milieu d’origine.
La loi prévoit un quota d’emploi de 10% dans la fonction publique pour les personnes handicapées et 5% dans le privé. En attendant sa mise en œuvre hypothétique, certains des concours de la fonction publique ont été ouverts pour la première fois aux jeunes handicapés en 2014. Mais les candidats aveugles et malvoyants doivent composer dans les mêmes conditions que les autres, avec toutefois un temps additionnel et la transcription en braille ou gros caractères des sujets.
Résultat : en trois participations, seulement trois jeunes aveugles ont pu intégrer le corps des enseignants du primaire. Pour les autres concours, aucun admis. Toutefois, cent jeunes handicapés, dont une trentaine de déficients visuels, ont été recrutés à la suite d’un concours spécial dit sur « mesure nouvelle » en septembre 2014.
Début août 2016, le ministre de la fonction publique s’est déplacé au centre de composition dédié aux personnes handicapées se trouvant dans les enceintes de l’UN-ABPAM. Il a promis que des dispositions seraient prises pour mieux adapter les conditions de composition à nos candidats.
L’UN-ABPAM a compris que les TIC pouvaient aider à surmonter les difficultés qui se posent aux personnes handicapées visuelles dans les domaines de la formation et de l’emploi. Elle a ouvert une cellule de formation en informatique adaptée. On a vite constaté que les étudiants formés en informatique avaient des résultats meilleurs. Malheureusement, tous ne peuvent pas s’équiper en matériel. L’UN-ABPAM a donc ouvert un cybercafé inclusif avec l’accompagnement du ministère chargé de l’Économie numérique pour résoudre cette difficulté.
Avec la prochaine ratification du Traité de Marrakech par notre pays, des démarches ont été entreprises pour que les éditeurs de manuels scolaires burkinabés soient formés à la production de formats accessibles (audio et numérique) de ces documents. Avec des supports de lecture adéquats, les élèves pourront accéder au contenu de ces manuels, ce qui contribuera à améliorer leurs résultats scolaires.
La seule compagnie de transport urbain de la ville de Ouagadougou est privée et elle ne se sent pas concernée par la loi prévoyant une réduction sur les tarifs pour les personnes handicapées munies d’une carte d’invalidité.
Néanmoins, elle a octroyé en 2015 des abonnements gratuits à quelques étudiants handicapés. En général, les personnes aveugles se font guider par un parent ou un ami dans leurs déplacements. Quand elles sont amenées à circuler seules avec une canne blanche ou un bâton en guise de canne, elles s’exposent à de multiples dangers. Encore faut-il qu’elles aient été formées à la mobilité ! Même en ville, les voiries ne sont pas aménagées et les « pièges à aveugles » jonchent les rues : défoncement de la chaussée, trous non balisés, caniveaux non couverts, tas de matériaux…
Quand on va à un endroit dont on ne connaît pas la localisation exacte, on risque de tourner en rond : les passants, souvent illettrés, ne sont pas toujours d’une bonne aide.
Pour améliorer la situation des personnes handicapées visuelles dans les décennies à venir, il faut s’investir dès à présent dans leur formation, la sensibilisation de toutes les couches sociales et relever le niveau de vie de cette population.
Au cours de nos rencontres de sensibilisation avec les responsables des services déconcentrés de l’Administration, on en trouve qui ont fait l’université avec des étudiants handicapés visuels. Ceux-ci sont déjà acquis à la cause des personnes vivant avec un handicap et sont convaincus de leurs capacités. L’éducation inclusive permettra d’avoir dans quelques années des responsables qu’on n’a plus besoin de sensibiliser. Ainsi, le décideur qui aurait eu comme voisin de classe un enfant handicapé trouvera tout à fait normal que ce dernier soit son égal en droit. Au lieu d’être une charge pour leurs familles, les adolescents et adultes handicapés visuels illettrés pris en compte dans des programmes de formation adaptés sauront prendre leur place dans la société.
Grâce aux activités de sensibilisation, aux bons exemples médiatisés, les mentalités commencent à changer. Si les organisations de personnes handicapées sont dotées des moyens nécessaires, elles pourront intensifier ces actions de sensibilisation.
Les évolutions technologiques devraient faciliter l’inclusion sociale des personnes handicapées. Notre pays devrait faire appel à la Coopération Internationale pour le transfert de ces technologies et la formation des compétences pour se les approprier.
Mais comment faire si grâce à un appui quelconque un étudiant est équipé d’un ordinateur et qu’il n’a pas d’électricité chez lui, pas de connexion Internet dans son établissement ? Comment défendre le quota d’emploi pour les personnes handicapées visuelles si pour 9 773 postes de la fonction publique, il y a 655 934 postulants comme en 2015 ? Comment avoir une politique efficace de protection sociale dans un pays où 40% de la population vit sous le seuil de pauvreté ?
Pour que la personne handicapée burkinabé ait une autonomie de vie, soit donc réellement incluse dans la société dans une ou deux décennies, il faut que le pays s’engage résolument, et ceci dès maintenant, sur la voie du développement !
Qui connaît la canne blanche ?...
Celui qui la connaît ne la voit pas,
Et celui qui la voit ne la connaît pas.
Ma canne blanche ?
Elle est souple et légère
Et de simple manière.
Ou bien grande et altière ;
Alors, elle prend de la hauteur
Pour servir votre grandeur.
Elle se plie à mon commandement.
Pas un mot : c’est le règlement !
Attentive à ne pas déplaire.
Elle se met en quatre pour vous satisfaire
Elle se coule discrètement
Tout au fond d’un porte-documents.
Elle n’est pas contestataire
Avec son propriétaire.
Il la laisse dans un coin
Quand il n’en a pas besoin.
Elle attend très décontractée
Qu’il veuille bien lever le pied.
Elle a le nez sur le plancher
C’est sa manière de marcher.
Elle ne quitte jamais vos semelles
Et se met toujours devant elles.
Savez-vous qu’en un temps record
Elle vire de bord ?
À gauche, à droite, elle prend position
Mais je connais ses convictions.
Elle a l’art de naviguer
Sans jamais perdre pied.
Au gré d’une main ferme ou dolente
Elle prend la cadence.
Elle glisse sur le trottoir,
Et caresse les couloirs.
Elle ratisse les boulevards
Allègrement et sans égard,
Et même se hisse avec astuce
Dans le métro ou l’autobus.
Oh ! Elle scrute avec soin les dénivelés
Mais elle déteste les pavés.
Comme vous le voyez
Elle ne fait que se promener.
Ma canne blanche n’a pas de nom
Mais elle a tous les noms
Que chante l’amitié.
Nous avons un code secret dans l’intimité.
Toronto, Canada
Le 4 janvier, nous fêtons la Journée Mondiale du braille et l’immense impact que l’invention de Louis Braille a eu sur la vie des personnes aveugles du monde entier. Le braille a toujours été et restera toujours bien plus qu’un simple outil pour les aveugles qui l’emploient. Le braille incarne la compétence, l’indépendance et l’égalité.
Le braille n’est pas un code voué à être déchiffré mais une méthode de lecture et d’écriture qui équivaut aux caractères imprimés pour les personnes voyantes. La façon dont les aveugles et les malvoyants développent leurs aptitudes en termes d’apprentissage est peut-être différente mais l’objectif reste le même : employer des outils de lecture, d’écriture et autres pour obtenir et comprendre des informations importantes et les faire passer à leurs pairs et aux autres.
Bien des choses ont changé depuis l’invention du braille il y a presque 200 ans, tant sur le plan de la pratique didactique que sur le plan technologique. De nos jours, les étudiants ont accès à différents types de dispositifs comme les afficheurs braille dynamiques et/ou les appareils de prise de note adaptés, et les manuels actuellement utilisés sont souvent produits par des embosseuses à grande vitesse associées à un logiciel de transcription permettant de convertir les mots imprimés en braille. Néanmoins, le braille reste tout aussi important et fondamental qu’au premier jour.
La communauté aveugle est très inquiète d’observer que le soutien au braille diminue, que ce soit pour son enseignement, son utilisation ou en termes d’investissement, en particulier parmi les éducateurs et les gouvernements, qui croient que les technologies telles que les livres électroniques, les livres audio et les lecteurs d’écran peuvent remplacer le braille. Cette question se pose à l’échelle mondiale, tant dans les pays développés que dans les pays en développement. « Les formats alternatifs comme les livres audio, qui sont en général moins chers que le braille, ne peuvent le remplacer et les progrès comme les nouveaux afficheurs braille dynamiques, plus abordables, viendront vraiment soutenir l’apprentissage du braille à l’avenir », déclare Kevin Carey, le nouveau Président du Conseil Mondial du Braille.
Les progrès technologiques sont certes bienvenus, mais nous recommandons d’employer la technologie pour améliorer l’utilisation du braille, pas pour le remplacer. On en veut pour preuve le fait que les personnes qui ont l’opportunité d’acquérir pleinement des aptitudes de lecture et d’écriture en braille affichent de meilleures capacités d’apprentissage, une plus grande réussite dans leur scolarité et dans leur accès à l’emploi que les personnes dont l’apprentissage repose essentiellement sur la technologie vocale.
L’alphabétisation – soit la capacité de lire et d’écrire – est essentielle pour une scolarité réussie, une carrière professionnelle et une bonne qualité de vie dans le monde d’aujourd’hui. Qu’il s’agisse de savourer un bon roman, de noter un numéro de téléphone, de dresser une liste de courses ou de rédiger un rapport sur l’ordinateur, l’alphabétisation se traduit par une participation effective à la vie du foyer et au sein de la société.
L’Union Mondiale des Aveugles recommande fortement que tous les enfants aveugles et malvoyants se voient offrir la possibilité d’apprendre et de manier correctement le braille (lecture et écriture) et qu’il leur soit enseigné par des personnes parfaitement formées et qualifiées pour dispenser cet enseignement.
Nous recommandons aussi fortement que toute personne aveugle puisse avoir accès à une grande variété de livres et de publications actualisés en braille. Cette recommandation peut notamment se concrétiser grâce à la ratification par les gouvernements du Traité de Marrakech, qui autorise des exceptions au droit d’auteur en vue de faciliter la création d’ouvrages accessibles et d’œuvres sous copyright, et qui permet l’importation et l’exportation de ces supports d’un pays à l’autre.
Je suis Alexis Yengo,
Français d’origine congolaise de la République Démocratique du Congo. J’ai
perdu mon œil droit en 1985 et le gauche en 2006.
Au début du handicap, j’étais très triste, car je ne lisais que des livres audio et des livres scannés, ou plutôt je les écoutais, au lieu de lire avec mes propres doigts pour bien retenir et avoir une vision globale du texte.
Heureusement pour moi, j’ai fait une formation professionnelle à l’Institut des Jeunes Aveugles de Toulouse, de 2014 à 2016, pendant laquelle j’ai pu corriger ma façon de lire le braille. Autrefois, ma lecture était unimanuelle ; aujourd’hui, elle est bimanuelle, avec toutes les techniques d’exploration d’un texte.
Moi qui, avant de venir à l’Institut des Jeunes Aveugles de Toulouse, avais dit à la Mission Évangélique Braille de Suisse de ne plus m’envoyer des livres en braille, je les demande aujourd’hui avec grand bonheur et acharnement, car ma lecture tactile ne fait que s’améliorer de jour en jour.
À côté de cela, j’imprime en braille des codes et lois, des livres et cours de droit, ainsi que d’autres disciplines que je lis avec mes doigts.
J’atteste qu’il est hyper important de lire avec ses doigts, parce que, depuis que je le fais, j’ai retrouvé le même état d’esprit psychologique que lorsque j’étais étudiant en droit dans mon pays d’origine.
L’appréhension du texte est fiable, étant donné qu’avec mes doigts, je lis et travaille à ma vitesse de compréhension et d’entendement. Je n’hésite donc pas à revenir en arrière, lorsque le besoin s’en fait sentir pour une meilleure appropriation du texte. Je vais donc au rythme de mon cerveau et non à celui de l’intelligence artificielle, qui non seulement ne tient pas compte de mon rythme, mais aussi ne procure qu’une mémoire auditive et non visuelle.
Parfois, il m’arrive d’utiliser mes outils d’écriture braille pour mettre la mémoire kinesthésique à contribution.
Avec le braille, j’ai donc retrouvé les trois fonctions de la mémoire : mémoire auditive, visuelle et kinesthésique que le psycho-pédagogue enseigne.
Je lis aujourd’hui quatorze pages en deux heures, et je ne travaille qu’en braille pour progresser. Il m’est arrivé par le passé de prendre connaissance du droit commercial ou du droit civil à la synthèse vocale, mais j’avais du mal à me concentrer, et, au final, je ne retenais pas grand-chose. Par contre, quand j’ai repris le même texte en braille, il en a été tout autrement : je me suis situé à nouveau comme quand j’y voyais, étudiant à la faculté, en termes de mémoire visuelle et d’apprentissage. Le braille me redonne la possibilité d’étudier à mon rythme, en intégrant pleinement ce que je lis tactilement.
À présent, j’apprends le braille abrégé afin de gagner de la vitesse de lecture et d’écriture, jusqu’à 30% de gain.
Je suis pleinement convaincu qu’avec le braille et la maîtrise des outils de compensation du handicap en informatique, je parviendrai au rendement que j’avais, stagiaire bien voyant, au cabinet d’avocat à Kinshasa. J’y crois mordicus, je travaille très fort pour cela. Et, petit à petit, j’y arrive, croyez-moi.
Toulouse, novembre 2016
J’ai connu ce crépuscule où l’ombre s’amasse,
Onde d’encre qui masque le clair firmament,
Voilant peu à peu du jour la forme et la masse,
Heure où tous s’émeuvent, où tout fond lentement.
J’ai connu cette nuit profonde, si épaisse
Que de hauts murs seraient plus réels à franchir,
Que des pics drus seraient plus aisés à gravir,
Où le cœur se tord, où le corps crie sa détresse.
J’ai connu la vaine rébellion de l’enfant,
Qui se heurte infiniment à ce lourd silence
De l’espoir qui fuit, qu’on retient avec violence,
Vain combat de la chair et du temps triomphant.
J’ai connu la noire substance des ténèbres
Qui s’insinue dans le cœur comme un lent poison
Et rôde dans la chair tel un spectre funèbre
Qui hanterait éternellement la raison…
Le temps passe… la terreur, peu à peu s’apaise…
Tout s’efface, même les plus cruels chagrins
Dont les traces brunes, encor sensibles, pèsent
Sur la mémoire comme des larmes d’airain.
Puis j’appris à lire et à écrire le braille,
Alors ! le noir de l’ignorance se déchira ;
Jour après jour, je tissai les mailles
De la toile des lectures qui me délivra.
Or, j’ai su cette aurore blonde et lumineuse
Qui couronne un jour neuf chaud d’or et de bleu clair,
Jet de couleurs qui fuse dans le matin clair,
Et irradie les âmes les plus caverneuses.
J’ai su ces midis d’été qui défient l’espace
Qu’aucune ombre ne ternit, pas même la mort,
Où l’amour et la vie éperdument s’enlacent,
Et s’étreignent tels de beaux enfants sans remords.
Puis j’ai su cette soif de liberté suprême
Qu’attend l’être quand le joug se lèvera,
Cette ivresse infinie de vérité extrême
Qu’espère l’âme quand elle s’élèvera.
Oh merci ! Cher Louis, inventeur inspiré
Qui mit au bout de mes doigts toute la lumière
Qui me révéla tout un monde insoupçonné
Effaçant
de mes yeux malades la misère.
Être aveugle est une déficience. C’est la société qui transforme cette déficience en un handicap. Le témoignage d'un parcours de combattant.
Le passage de la lumière à l’obscurité.
Je suis Michel Archange Péan. Je ne suis pas né aveugle. Je le suis devenu en deuxième année d’université. Ce passage m’a été, comme pour tous ceux qui l’ont vécu, très douloureux. Mes parents avaient toujours voulu que je devienne médecin, mais ce qui m’intéressait, moi, c’était la philosophie, l’éducation, et les lettres en général. Après mon baccalauréat, j’ai quand même intégré la Faculté d’Art dentaire de l’Université d’État d’Haïti. Comme je souffrais de problèmes oculaires depuis les classes secondaires et que ma vision baissait progressivement, en deuxième année, j’ai dû laisser le pays pour des consultations médicales en France. Et c’est là-bas qu’on a découvert que j’ai ce qu’on appelle la rétinopathie pigmentaire. (Les rétinopathies ou rétinites pigmentaires représentent un groupe de maladies génétiques qui provoquent la destruction progressive des cônes et ensuite des bâtonnets, causant une perte progressive de la vision aboutissant le plus souvent à une cécité complète. NDLR.)
Mon parcours personnel.
Ayant appris ma déficience, mes parents ont pris la décision de me laisser définitivement poursuivre mes études en France. Cette décision m’a donné toute la latitude de choisir les domaines qui m’intéressaient vraiment. C’est ainsi que j’ai entrepris des études à l’Institut d’Études Politiques (IEP) de Bordeaux en France, et ensuite aux États-Unis où j’ai d’abord fait des études de lettres et de linguistique à Suffolk University, avant d’entreprendre des études de master et de doctorat à Boston College d’où je suis sorti avec un doctorat ès Lettres et Sciences Humaines. Rentré en Haïti en 1987, je me suis depuis impliqué dans les recherches sur la problématique du handicap, plus précisément les questions liées à l’éducation inclusive et à la réadaptation fonctionnelle.
De ma réadaptation justement…
J’ai vécu dans des pays facilitant l’intégration pleine et entière des personnes vivant avec des déficiences et j’ai suivi des cours en réadaptation.
Mais le processus fait appel à un ensemble de facteurs, les uns autant importants que les autres. D’abord, il y a l’encadrement familial qui est un élément clé dans le processus. J’ai pu apprendre à me réadapter parce que j’avais bénéficié, et je bénéficie jusqu’à présent, d’un encadrement familial sans faille. Mes parents, mes amis et ma femme m’ont toujours accompagné et encouragé durant tout le processus.
Il y a aussi le travail sur soi. Il faut accepter sa déficience. La réhabilitation, avant d’être physique et concrète, est d’abord morale et psychologique. La chose la plus difficile pour les personnes en situation de handicap en général est d’arriver à accepter leur déficience. Dans mon cas, moi qui ne suis pas né aveugle mais qui le suis devenu, j’ai accepté de suivre des séances en réadaptation incluant la connaissance du braille, l’utilisation d’une canne blanche, d’un guide-signature, et toutes les autres techniques et habiletés me permettant de fonctionner en toute autonomie.
D’un autre côté, parler de ma réadaptation m’amène forcément à établir la différence entre déficience, incapacité et handicap, différence que beaucoup de gens ignorent. La déficience est une sorte d’insuffisance, comme on le dit en Haïti, « se yon domaj ». Par exemple, un manchot ou un unijambiste a une déficience motrice, et une personne qui n’entend pas souffre d’une déficience auditive. La déficience entraîne automatiquement une incapacité, c’est-à-dire une limitation fonctionnelle. À cause d’une déficience auditive, la personne ne peut pas entendre. Dans mon cas, ma déficience visuelle m’empêche par exemple de lire un journal sur support papier. Il y a donc un rapport dialectique entre déficience et incapacité, la première entraînant la seconde.
Quant au handicap, c’est une tout autre chose. Il renvoie à un ensemble de barrières de tout genre (sociales, culturelles, économiques, idéologiques, politiques) qui empêchent la personne qui a une déficience de participer aux activités de la vie. Ainsi, on peut avoir une déficience qui implique une incapacité et ne pas être en situation de handicap, tout dépend de l’environnement social dans lequel on évolue. Si donc la société met en place les structures pouvant permettre la pleine intégration et l’entière participation des personnes vivant avec toutes formes de déficience dans la vie sociale, on n’aurait plus de personnes en situation de handicap. Le handicap est avant tout un phénomène social. Il résulte de la contradiction entre la déficience et l’environnement (pris dans son sens large). Et cette contradiction n’est pas antagonique, elle peut être résolue en agissant soit sur la déficience, soit sur l’environnement. Je le dis souvent : je me sens beaucoup plus en situation de handicap lorsque je suis en Haïti que lorsque je suis à l’étranger. J’ai vécu durant des années à Boston pour mes études et j’ai enseigné à Boston College ; je n’ai jamais eu d’accompagnateur voyant. En Haïti, les barrières infrastructurelles et culturelles rendent presque impossible le fonctionnement autonome de la personne ayant une déficience, d’où son handicap.
À la société haïtienne…
Ce ne sont pas les personnes qui vivent avec des déficiences qui sont handicapées, c’est la société haïtienne qui est en situation de handicap et qui constitue en elle-même un obstacle à la participation des personnes vivant avec des déficiences aux activités de la cité. Je demande donc à la société haïtienne de faire un effort de compréhension et de solidarité vis-à-vis des personnes vivant avec un handicap. Nous ne pouvons développer ce pays en mettant de côté les 800 000 personnes qui se trouvent en situation de handicap. Le développement n’est pas possible dans l’exclusion. Il faut que la société cesse d’abandonner les personnes handicapées sur le compte de la charité publique, mais plutôt qu’elle les encadre de sorte qu’elles deviennent une force productive qui l’aide à se construire. Je ne suis pas un être exceptionnel. Je suis un citoyen haïtien qui vit avec une déficience et qui, grâce à l’encadrement familial, en particulier celui de mon épouse Paula Clermont Péan, grâce aux amis qui m’ont soutenu, grâce aux études que j’ai faites, a pu franchir un ensemble d’obstacles et participer normalement à tout ce qui se fait dans la société, que je sois à l’intérieur du pays ou à l’extérieur. Je ne suis pas du tout exceptionnel, je suis un non-voyant normal ! Vous qui avez une déficience quelconque, vous pouvez réussir autant que moi : ne vous laissez pas décourager et exigez le respect de vos droits. C’est la formule pour y arriver.
Propos recueillis et retranscrits par Johnny Jean
Au bord de la rivière, m’en allant promener,
Près d’un petit grenier à mil, j’ai rencontré
Des bambins étonnés qui lavaient un cheval :
Monsieur Senghor était bien loin de sa terre natale !
Dans une île de verdure, m’en allant promener,
Au cœur d’un jardin tropical, j’ai rencontré
L’ami de mon ami qui souriait gentiment
En me voyant observer du manioc attentivement.
Pas très loin de Joal, m’en allant promener,
Par un après-midi d’été, j’ai rencontré
Une famille paisible dont le puits de béton
Fut mis le temps de mon séjour à ma disposition.
Dans le même village, m’en allant promener,
Aux portes d’une belle nuit, j’ai rencontré
Des enfants qui chantaient et frappaient dans leurs mains,
Tandis que les griots, sur leurs sabars, jouaient sans fin…
Sur la route de sable, m’en allant promener,
À la tombée d’un samedi soir, j’ai rencontré
Deux jeunes inconnus qu’ j’entends parler encore :
Échange d’un peu d’amour en vrac vaut bien plus que de l’or.
Tout ça, c’est des p’tites choses pas très originales
Mais qui m’ donnent bien envie de repartir au Sénégal !
Les 2 et 3 décembre 2016, « Ici et Là-Bas » a organisé à Douala, sous le haut patronage de la Délégation Régionale des Affaires Sociales, la deuxième édition du Blind Ciné Tour. À cette occasion, nous avions lancé une campagne de collecte de dons, demandant aux personnes intéressées par notre projet de nous remettre des objets encore en bon état dont ils n'ont plus l'usage (vêtements, chaussures, appareils...). Les fruits de cette collecte étaient destinés à être distribués le 2 décembre, en même temps que le matériel offert par la CSI.
Cette année, nous avons décidé d’impliquer les corps professionnels (enseignants, médecins, avocats...), ainsi que les responsables d’associations. Tous nous ont confirmé leur présence à cette manifestation. Nous avons aussi cherché à signer des accords de partenariat avec des structures locales telle ACMS (Association Camerounaise de Marketing Social).
Lors de mon dernier séjour au Cameroun du 21 juillet au 13 septembre 2016, nous avions initié le Blind Campaign Tour, large campagne de sensibilisation auprès du grand public, avec pour objet : « Un aveugle ou un malvoyant est un citoyen à part entière ». Ce fut une belle campagne car toutes les associations typhlophiles de Douala et de sa région ont travaillé main dans la main. « Ici et Là-Bas », dans sa logique d'unir les associations sœurs dans des actions communes, a su mettre l'intérêt général des personnes déficientes visuelles comme signe de ralliement.
Cette campagne de sensibilisation a débuté le 16 août 2016 par une conférence de presse au Centre d'Accueil et d'Observation, (salle appartenant au Ministère des Affaires Sociales), au quartier Bépanda Omnisports de Douala, en présence de la Déléguée Régionale des Affaires Sociales.
Les panélistes de la conférence étaient :
- Christian Kwessi (responsable "Ici et Là-Bas"),
- Robert Eyaman (ACFISA),
- Pierre-Marie Kouongne Kadji (CERIAV),
- Gisèle Diboh (LUJAC : Lumière des Jeunes aveugles du Cameroun),
- Abel Kotto (FECASDEV : Fédération Camerounaise de sports pour déficients visuels),
- Lisette Waffo (Bibliothèque LE PAVILLON BLANC),
- Ange Romain (SODEVIAC : Solidarité des déficients visuels actifs du Cameroun),
- la déléguée régionale des Affaires Sociales pour la région du Littoral.
Ange Romain nous a prêté son talent, il fut un excellent modérateur. Chaque responsable d’association d’aveugles a expliqué la spécificité de son centre et la façon dont il contribue à faire sortir les déficients visuels de l'obscurité. La Déléguée Régionale nous a gratifiés d’une belle et dynamique allocution avant la séance de questions-réponses.
Le slogan adopté pour la campagne était : « Faisons sortir nos aveugles de l'obscurité ! »
Après cette conférence de presse, nous avons communiqué dans les différents médias (radios et télé). Comme notre slogan l'indiquait, notre objectif était d'informer les populations de l’existence de centres pouvant prendre en charge les enfants et adultes handicapés de la vue. Nous avons distribué des dépliants pour communiquer l'information dans toute la ville de Douala. Nous avons alors reçu des appels de voisins de familles qui gardent leurs enfants aveugles chez elles. Malheureusement, ces voisins refusaient de donner le nom du quartier qui aurait pu aider au repérage de ces non-voyants devenus gardiens de leur maison.
La campagne a pris fin le 9 septembre 2016. Nous nous sommes retrouvés au bureau de « Ici et Là-Bas » pour partager des poissons grillés et des boissons. Cette sensibilisation a créé un lien d'amitié ; elle a suscité l'envie de travailler ensemble et de mener plus souvent des actions communes.
J'ai rencontré Stéphane Ebongue, promoteur du Pavillon Blanc. J'ai visité sa bibliothèque. Elle est magnifique, propre, bien aménagée. J’ai vu l'imprimante financée par la CSI qui sert grandement à la production de livres en gros caractères. Stéphane Ebongue a établi sa bibliothèque dans une belle villa. Nous avons apprécié le dévouement que ce militant met dans ce combat, nous avons mesuré son dynamisme et son professionnalisme.
Lisette Waffo, la chargée de communication du « Pavillon blanc », a conquis le public lors de la conférence de presse, faisant bien ressortir les objectifs de cette bibliothèque dédiée aux personnes malvoyantes. J'ai demandé à notre ophtalmologiste de faire suivre cette information auprès de ses patients.
Enfin, je vous rappelle que je fais reconditionner des lunettes en France que je ramène à Douala. Notre ophtalmologue reçoit les patients de l'association un samedi sur deux. Certains ont la chance de trouver des lunettes qui correspondent à leur pathologie. Les autres appliquent le système D. Les personnes ayant une ordonnance de moins de trois mois peuvent aussi venir nous demander des lunettes. Au-delà, ignorant si le diagnostic est toujours actuel, nous prenons rendez-vous avec le spécialiste pour une nouvelle consultation. Bien sûr, toutes ces consultations sont gratuites.
Nous travaillons également avec des médecins généralistes pour aider à l'établissement du certificat d'invalidité, pièce essentielle pour l’obtention de la carte d'invalidité. Si la personne aveugle possède un dossier complet, nous l’accompagnons à la Délégation Régionale des Affaires Sociales pour qu'elle puisse entrer en possession de sa carte dans la semaine au lieu des trois mois habituels.
L'école Mwereni à Moshi est un exemple d'« enseignement inclusif ». Elle accueille 80 enfants malvoyants ou aveugles dont une trentaine d'albinos. […]
L'ONG belge Lumière pour le Monde, active depuis près de 20 ans, soutient des programmes d'intégration des enfants malvoyants dans l'enseignement dit « ordinaire » dans différentes régions de Tanzanie.
Dans les écoles africaines, force est de constater que les obstacles sont encore grands à l'intégration des élèves aveugles et malvoyants. Certaines écoles réussissent toutefois avec succès leur accompagnement et leur intégration.
C'est le cas de la Boma Primary School du village de Korogwe au nord-est de la Tanzanie. Paul est un instituteur itinérant rattaché à cette école. Sur 600 élèves, il suit 53 élèves malvoyants dont 2 totalement aveugles en leur dispensant des cours à domicile. « Nous les suivons au quotidien pour leurs devoirs et s'ils ont des besoins spécifiques », explique-t-il. « Certains enseignants ne se montrent pas très accueillants vis-à-vis des enfants avec un handicap, il y a encore un grand travail à faire là-dessus. Les fonds nous manquent aussi pour mener nos actions à bien », confie l'enseignant.
L'école Mwereni à Moshi, petite bourgade aux pieds du Kilimandjaro, est aussi un exemple réussi d'« enseignement inclusif ». Elle accueille 80 enfants malvoyants ou aveugles dont une trentaine d'albinos parmi 520 élèves voyants. Ces derniers sont encore persécutés à cause de vieilles croyances véhiculées par les plus anciens. « Une superstition, en Tanzanie, affirme ainsi que la prise d'une boisson contenant des membres d'albinos rendrait riche », explique Damas Fidelis, le directeur de l'établissement. Un mur d'enceinte a même dû être érigé pour les protéger. L'école accueille aussi des enfants souffrant du syndrome Xeroderma Pigmentosum (XP). Surnommés « enfants de la lune », leur peau ne peut pas être exposée au soleil et ils souffrent de photophobie, une crainte de la lumière due à une sensation visuelle douloureuse.
À l'école Mwereni, les classes sont mixtes. Pendant deux années préparatoires, les enfants déficients visuels suivent un cursus spécial pour apprendre à lire et écrire le braille. Les enseignants s'efforcent de développer leurs facultés tactiles tout en suivant le programme national officiel. Les élèves sont ensuite intégrés dans une classe ordinaire parmi des enfants voyants. De nombreux malvoyants y résident en internat toute l'année, car ils viennent de trop loin pour pouvoir rentrer régulièrement dans leur famille. Certains sont orphelins.
Le professeur Dunstan s'occupe du programme d'éducation itinérante. Il a suivi 18 élèves issus de 35 écoles de la région sur l'année 2015, dont Elizabeth et Eric de l'école Magereza, atteints tous les deux de photophobie. Il leur a dispensé des cours à domicile, mais a été contraint d'arrêter son programme par manque de fonds. Son travail se focalise maintenant au sein de l'école équipée de tout le matériel nécessaire à l'accompagnement des enfants malvoyants (machines à écrire le braille, loupes...). Eric et Elisa, munis de lunettes, ont dorénavant une place de choix à un mètre du tableau pour pouvoir suivre, comme n'importe quel autre élève, l'enseignement adapté qui leur est dispensé.
Caroline Lallemand, 03/12/2016, Le Vif / l'express
Tout au long de l’année 2016, nous avons reçu des nouvelles régulières de nos petits amis de la Maison de l’Espérance. Les animateurs sont toujours attentifs au bien-être des enfants, pour en accueillir d’autres, pour les éduquer et leur offrir des moyens de travailler pour ceux qui le peuvent. Chaque mardi, ils prient pour les donateurs sans lesquels leur quotidien ne serait pas assuré, et leurs projets ne pourraient pas se réaliser.
Les dons versés par les adhérents de Voir Ensemble et les amis qu’ils ont su motiver à cette cause, associés aux ventes des calendriers de la Paix édités par Les Enfants des Oliviers, ont permis un second virement de 3 000 € début décembre.
N’oublions pas notre promesse de « ne pas les laisser tomber ». Toutes les sommes récoltées leur sont envoyées sans aucun prélèvement. Merci à tous ceux qui ont acheté et diffusé le Calendrier de la Paix 2017.
Pour ceux qui veulent continuer à participer à cet élan de solidarité, qu’il faut faire vivre dans la durée, vous pouvez envoyer vos dons, par chèque libellé à l’ordre de « Les Enfants des Oliviers », à Danielle Beck, 5 avenue du Général de Gaulle, 78450 Villepreux.
Très chers partenaires,
Nous voulons par cette lettre vous exprimer notre profonde gratitude pour votre soutien durant l’année scolaire 2015-2016.
Comme vous l’avez certainement constaté dans notre rapport de fin d’année passée, les résultats ont été satisfaisants et encourageants. Nos élèves ont démontré encore une fois que leur handicap ne constitue point un frein à leurs études scolaires. Et personne ne peut nier que ces résultats ont été obtenus grâce à vous, à vos multiples aides, matérielles comme morales.
Pour cette nouvelle année scolaire 2016-2017, qui s’annonce à partir du 17 octobre prochain, nos difficultés sur le plan matériel seront encore énormes. En effet, vu le taux élevé de réussite des classes de passage vers les classes d’examen et le nombre croissant des inscriptions, nous avons sûrement et certainement besoin de matériel pour mettre nos élèves dans de bonnes conditions d’études durant cette année. C’est pourquoi nous vous supplions de nous venir encore en aide, surtout en papier braille, en tablettes (27 lignes), poinçons, cubarithmes et cubes. Les nouveaux élèves inscrits auront besoin des tablettes pour démarrer leur apprentissage, mais aussi les anciens élèves du lycée dont certaines tablettes sont détériorées.
Nous nous tournons toujours vers vous parce que nous ne savons pas vers qui aller.
Que Dieu tout puissant soit toujours avec vous, vous soutienne, vous guide et fasse réussir vos projets et ambitions.
Le Directeur, NABEDE Paoubadi
N'attendez pas la solution de vos problèmes des hommes politiques puisque ce sont eux qui en sont la cause. (Alain Madelin, homme politique français)
Les prévisions sont difficiles, surtout lorsqu'elles concernent l'avenir.
Un mec est venu sonner chez moi pour me demander un petit don pour la piscine municipale, je lui ai donné un verre d'eau.
Cette nuit un voleur s'est introduit chez moi, il cherchait de l'argent. Je suis sorti de mon lit et j'ai cherché avec lui.
La seule fin heureuse que je connaisse, c'est la fin de semaine...
De chez moi au bar il y a 5 minutes, alors que du bar jusque chez moi il y a 1h30 !...
L'ironie c'est quand tu rentres en prison pour vol de voiture et que tu en sors pour bonne conduite.
Le travail d'équipe est essentiel. En cas d'erreur, cela permet d'accuser quelqu'un d'autre !
Les parents, c'est deux personnes qui t'apprennent à marcher et à parler, pour te dire ensuite de t'assoir et de te taire !
Avant je savais bien écrire et, un jour, j'ai eu un téléphone portable : é depui il c produi kelk choz 2 bizar...
Les statistiques, c'est comme les bikinis: ça donne des idées mais ça cache l'essentiel !
L'être humain est incroyable : c'est la seule créature qui va couper un arbre pour en faire du papier et écrire dessus : « Sauvez les arbres » !
Ingrédients (pour 4 personnes) :
- 700 grammes de grosses crevettes ou même des gambas
- 5 échalotes
- 4 à 6 gousses d'ail
- 1 morceau de gingembre
- 3 tomates bien mûres
- 2 pincées de curcuma
- 1 branche de thym
- sel
- piment facultatif, selon les goûts
- huile
Préparation de la recette :
Nettoyez les crevettes, incisez le dos afin de retirer le boyau et décortiquez.
Émincez les échalotes, pilez l'ail et le gingembre avec le sel, hachez finement les tomates.
Chauffez votre marmite (ou faitout) sur un feu très vif.
Lorsqu’elle est très chaude, versez-y les crevettes sans aucune matière grasse et retirez-les quand elles deviennent toutes rouges.
Mettez alors de l'huile et faites revenir les échalotes émincées jusqu'à ce qu'elles fondent mais sans coloration.
Ajoutez le mélange ail, gingembre et sel, ensuite les tomates et 2 pincées de curcuma.
Couvrez 5 minutes à feu très doux pour obtenir une sauce.
Lorsque les épices sont fondues, ajoutez les crevettes et un peu d'eau qui couvre juste l'ensemble et une branche de thym.
Laissez réduire à feu vif mais en laissant tout de même une sauce, c'est à ce moment qu'on rajoute le piment pour ceux qui aiment.
Servez avec du riz.